×

Visiter avec nous: Iglesias, le farwest sarde entre terre et mer

buggerru iglesias vacances

Iglesias en sud-ouest de la Sardaigne, le farwest entre terre et mer

« Iglésias ». Il suffit de prononcer le nom de cette petite ville médiévale nichée aux pieds du massif du Mont Linas pour s’immerger dans l’histoire complexe de la Sardaigne. Ici, dans la capitale du « Sulcistan » (c’est comme cela que les habitants de cette région historique – le Sulcis – s’amusent à tourner en dérision leur terre natale, en soulignant avec ironie leur isolement géographique et économique, ndlr), s’entremêlent avec nonchalance les contrastes d’une région unique en Europe ; la terre rouge sang qui lui donne un air de Nevada, la mer turquoise et transparente qui borde ses rivages, la tradition sarde dans ses plus belles expressions, les vestiges d’une industrie minière jadis florissante. C’est ce farwest méditerranéen qui m’a tant fasciné et qui fait le charme de ce petit bout de paradis encore méconnu.

pan di zucchero sardaigne

Ce chef-lieu historique du Sulcis est un petit joyau dans un écrin de forets et de monts voluptueux qui se dresse au fond d’une longue vallée située entre deux chaines montagneuses. Son centre, avec ses rues colorées, son urbanisme médiéval, son air d’Espagne et ses places silencieuses, est entouré d’une périphérie contrastée, qui grimpe sur les collines environnantes. Une union imparfaite entre une architecture de charme et des cités dortoirs. Pierre de taille et béton armé, façades enduites de mille couleurs, balcons défoncés et maisons populaires.

Iglésias incarne ce clair-obscur de la « ruée vers l’or » sarde. Autrefois, tout autour de la ville, les hommes creusaient d’innombrables galeries souterraines pour en extraire les précieux minerais qui servirent alors à gonfler le PIB et les exportations de l’Italie [du nord, ndlr]. Une « solution miracle » pour éradiquer la pauvreté et le sous-développement de cette ile malheureuse, une formule de choc aux airs coloniaux qui feront naitre, dans cette région pas si reculée que ça, les luttes ouvrières les plus acharnées de l’Italie à peine unifiée. Non loin, à Buggerru, la première grève de la jeune République, réprimée dans le sang. Ici, à Iglésias, le socialisme et le syndicalisme, qui animent et passionnent les foules citadines.

buggerru mer plage

C’est l’histoire triste derrière la photo de carte postale ; une génération qui émigrera [principalement en France et en Belgique, ndlr] parce que frappée par la faim, le chômage, la fermeture progressives des mines, le dédain des contre-maitres. Une élite d’investisseurs qui s’enrichira grâce au ventre minéral de la Sardaigne [les grecs surnommaient l’ile « Argyrophleps », littéralement « aux veines d’argent», ndlr] et qui abandonneront ce paradis perdu une fois leur besogne satisfaite, en laissant derrière eux des mines à ciel ouvert, des boues contaminées, et des familles désespérées.

Mais l’on sait que « la misère est plus belle au soleil ». Et quel soleil ! Et quelle beauté ! C’est en effet une région particulièrement appréciée pour la splendeur de son littoral par les touristes les plus aventuriers. Des montagnes aux milles couleurs qui plongent dans une mer transparente, des falaises tantôt rougeâtres, tantôt noires, tantôt immaculées, qui zigzaguent le long des cotes. Et ce maquis aux parfums exquis, ces petits villages bariolés qui font le charme incomparable du Sulcis. Et des plages à couper le souffle, comme celle de Cala Domestica, aux eaux couleur émeraude, dont les photos sont partagées des millions de fois sur les réseaux sociaux [la Sardaigne est un top-trending sur Instagram, likes assurés!].

Ici, chaque recoin, chaque route, chaque chemin, est une invitation à la découverte et une véritable ode au road-trip. Entre deux enclos agricoles on tombe sur une mine abandonnée et on imagine un instant des milliers d’hommes éventrant les entrailles de ces collines verdoyantes. Plus loin, au détour d’un chemin sans asphalte on découvre un nuraghe, ces constructions archéologiques vieilles de plusieurs millénaires, œuvre des anciens sardes, et que l’on trouve par millier dans toute la Sardaigne.

Ainsi un jour, en me frayant un chemin entre les collines rougeoyantes qui dominent la petite bourgade de Gonnesa située à la périphérie d’Iglesias, je me suis retrouvé au milieu du Villaggio Asproni, ancienne bourgade où vivait l’ingénieur du même nom, qui était propriétaire des mines environnantes. Ce qui autrefois était une véritable petite ville avec son maire, ses servants, ses travailleurs, sa classe dominante, ses activités, est aujourd’hui un village fantôme où règne un silence étrange.

C’est ce contraste surprenant – entre pauvreté et tourisme, ancienne zone industrielle et sous-peuplement, plages équipées et montagnes mystérieuses – qui fait la beauté du Sulcis et de la région d’Iglesias. C’est une pérenne invitation à la découverte de la Sardaigne au delà de ses beautés esthétiques qui comblent les touristes durant la saison estivale. C’est un portrait grinçant, authentique, passionnant, qui nous pousse à nous aventurer au-delà des chemins battus et à (re)penser la Sardaigne d’hier et de demain.

Texte et foto: Alexis Barranger, SardiniaNatour, janvier 2019